– Prix du livre : « Errances » d’Olivier Remaud au Éditions Paulsen
Lire ci-dessous le commentaire d’Alan Cabantous lors de la soirée de remise des prix samedi 26 septembre au Théâtre de la Coupe d’Or à Rochefort
– Prix de la BD : « Algues vertes; l’histoire interdite » d’Inès Léraud et Pierre VanHove aux Editions Delcourt
Commentaire à venir
– Prix du film : Poisson d’or, poisson africain » de Thomas Grand et Moussa Diop , produit par Zideoprod
Commentaire à venir.
Le regard d’Alain Canbatous sur « Errances » d’Olivier Remaud, prix des Mémoires de la Mer 2020
Voici un ouvrage concis consacré aux deux grandes expéditions du marin danois Vitus Bering ((1681-1741) vers l’extrême Sibérie afin de découvrir et de rechercher un passage voire une continuité avec le continent américain.
Il ne s’agit pas vraiment d’une biographie classique puisque les années danoises, celles de son enfance puis la période où il suit son demi-frère au sud de l’Inde comme sa carrière d’inspecteur des douanes sont assez vite expédiées. C’est d’abord et surtout autour de son engagement au service des tsars de la sainte Russie, et Pierre le Grand en tout premier lieu, que le livre s’attache. Les minutieuses préparations (aux descriptions très précises des épissures aux manœuvres d’appareillage lors du départ d’Okhotsk), les interminables étapes de négociations politiques qui précèdent la concrétisation des projets, les non moins longs cheminements à travers la Sibérie avant de pouvoir atteindre la mer d’Okhotsk et de partir enfin vers l’est et les îles Kourile font de la ténacité un ressort efficace pour le récit. Ces chapitres étant parfois entrecoupés de digressions souvent heureuses sur l’état d’esprit de Bering, sur ses ressentiments à l’endroit de l’Amirauté de Saint-Pétersbourg, sur ses ambitions ou ses déconvenues.
Ce qui frappe encore, notamment au regard de nos habitudes contemporaines et parce qu’Olivier Renaud sait très bien en jouer, c’est la lenteur à travers la longue durée des expéditions rapportée à l’aune d’une vie du XVIIIe siècle. Cinq ans pour la première interrompue en 1731 après avoir tenté la descente des fleuves (dont la Kalima) ; huit pour la seconde où Bering, qui perd un navire dans les brouillards, réussit enfin exploré la côte américaine avant d’achever sa vie, terrassé par le scorbut, sur un îlot des Kourile. Les trente dernières pages sur les tempêtes, la lutte contre les maladies, les privations, le débarquement en catastrophe sont d’ailleurs de tout beauté.
Le livre propose aussi un ensemble de réflexions sur les antagonismes, plus culturels que politiques, qui rythment les relations sociales de Bering. La routine de l’administration contre la soif de l’aventure ; les connaissances de salon contre l’expérience de terrain avec, en corollaire, les prétentions des savants contre le réalisme parfois brutal des navigateurs ; la supposée supériorité russe contre la « barbarie » de ces peuples du Kamchatka que Bering contribua à défendre et à protéger.
Pour ce faire, le travail est bien servi par des chapitres courts et incisifs souvent, par des descriptions très bien menées. On pense en particulier aux paysages naturels dépeints (la perception de l’aurore boréale par exemple), et plus encore à ces scènes poignantes et sanguinaires du massacre massif d’animaux : les canards et par deux fois les renards. Bien servi encore par un sens aigu de la formule au sein de phrases brèves, elles aussi, qui paraissent contrebalancer cet apparent étirement des actions. Ainsi la saisie en pied de Bering : « un bon mètre quatre-vingt de ténacité » ou « Il aimait commander car il aimait obéir » ; s’agissant du scorbut mortifère « pas un n’échappait au surgissement incongru de son squelette » ; et pour décrire la tempête : « La guerre passait dans les nuages ».
Une bien belle invitation au voyage sans trop savoir quand même à quel livre nous avons affaire : un livre d’histoire qui emprunte quelques raccourcis et contient quelques manques chronologiques que nous devrions retrouver… juste s’il en était besoin? Une biographie rien moins qu’originale ? Un ouvrage de topographie littéraire où les étendues répulsives et sans bornes de la taïga le disputent aux conditions hostiles de l’hiver et aux agressions de la mer ? Un essai sociologique ancré dans le réel du froid, de l’inconnu, du sacrifice, des petites chicanes et des grandes jalousies, questionnant des échecs devenus salvateurs ? Un peu tout cela à la fois et ce sont ces ambiguïtés soutenues qui rendent cette lecture aussi heureuse que troublante.