Le commentaire d’Olivier Le Carrer sur le dernier livre de Romain Bertrand » Qui a fait le tour de quoi »
Olivier Le Carrer commente librement ici le dernier livre de Romain Bertrand, lauréat en 2013 du prix des Mémoires de la Mer pour « L’histoire à parts égales »
Publié en début d’année aux Éditions Verdier, le nouveau livre de Romain Bertrand – lauréat des Mémoires de la Mer 2013 avec l’excellent ouvrage L’histoire à parts égales – nous propose un programme stimulant : Qui a fait le tour de quoi ? L’affaire Magellan. L’affiche est belle mais le contenu risque de laisser le passionné sur sa faim. Car si l’auteur fustige au passage les publications qui « ont éclos par dizaines » à l’occasion du cinquième centenaire de l’expédition Magellan sans pour la plupart ajouter à la connaissance du sujet, le compliment pourrait, hélas, lui être retourné : hormis un ton résolument polémique, son ouvrage n’apporte pas grand chose qui ne soit déjà connu.
L’argument du livre tient pour l’essentiel dans la bonne vieille recette du « on vous a menti, voici la vérité sur Magellan ». La démonstration ne manque pas de brio mais semble déconnectée du réel, les idées reçues qu’elle entend dénoncer n’ayant plus guère de consistance. Quel amateur d’histoire ignore encore que le profil de Magellan tenait davantage de l’affairiste impulsif que de l’explorateur au grand coeur ou du navigateur de génie et que le tour du monde ne faisait pas partie de ses objectifs ? De nombreuses publications ont avant celle-ci exploré de façon pertinente les tenants et aboutissants du projet de Magellan. Pour ne citer que l’une des plus populaires, Le Voyage de Magellan – publié par les éditions Chandeigne il y a déjà plus de dix ans ! – offre en deux tomes une synthèse très complète du sujet, ne laissant rien dans l’ombre des ambiguités du personnage.
Hormis cette ruse de tabloïd, le lecteur pourra trouver lassante la hargne avec laquelle Romain Bertrand cogne sans nuance sur les équipages espagnols et portugais, les faisant passer à longueur de pages pour des abrutis ne comprenant rien à l’organisation du monde, incapables de s’intéresser à la nature et aux populations rencontrées. Histoire à parts égales ou règlement de comptes ?
Regrets encore que cette instruction à charge abuse des raccourcis : quand par exemple l’auteur convoque l’Histoire naturelle et morale des Indes, publiée en 1590 par José de Acosta, pour évoquer les doutes sur le bilan de l’expédition (« Le détroit que Magellan trouva dans la mer du Sud, certains pensaient qu’il n’existait pas, ou bien qu’il s’était refermé. »), dommage qu’il n’ait pas jugé bon de faire figurer la suite de la citation qui donne une tout autre couleur au propos, le jésuite n’utilisant cette entrée en matière que pour réaffirmer la réalité du détroit et son intérêt.
Les amateurs de navigation se désoleront pour leur part que l’auteur soit parfois fâché avec la géographie et les réalités maritimes. Non, les navigateurs de l’époque ne se demandent pas « s’il faut trois mois ou trois ans » pour traverser la mer du Sud. S’ils ne peuvent encore déterminer avec précision leur longitude en mer, ils disposent de suffisamment de coordonnées connues en Asie pour avoir une bonne approximation de la distance à parcourir.
Non, l’expédition ne passe pas « près de trois mois à explorer, en vain, l’embouchure et les alentours du Rio de la Plata en quête du chenal menant de l’Atlantique au Pacifique ». Dans la réalité, la flotte croise là moins d’un mois avant de continuer à descendre vers le sud. Tout « abrutis » qu’ils soient, les marins avaient vite compris que cette eau de plus en plus douce ne pouvait correspondre à un passage entre deux océans…
À ces écueils s’ajoute un curieux décrochage de la chronologie entre les épisodes 2 et 3, qui a l’inconvénient de sortir complètement la fameuse mutinerie de la baie de San Julian de son contexte, à savoir le long hivernage de la flotte.
Reste à mettre au crédit de l’auteur un regard toujours instructif sur l’Asie du Sud-Est – l’un de ses sujets de prédilection – avec de passionnantes peintures des sociétés locales.
.A suivre avec la publication du prochain numéro de la revue « L’Histoire »