Écrivain et navigateur, ancien rédacteur en chef du magazine Bateaux, Olivier Le Carrer est notamment l’auteur d’une histoire des tours du monde à la voile « Partir autour du monde » chez Glenat.
C’est aussi l’un des commissaires de l’exposition actuellement visible au Musée National de la Marine à Paris sur l’histoire du Vendée Globe.
Il commente ici en exclusivité le témoignage d’un des concurrents, l’Italien Giancarlo Pedote, recueilli quelques jours avant le départ de l’édition 2024 du Vendée Globe par le journaliste Valentin Pineau pour Ouest-France.
Benedict Donnelly, ancien Secrétaire Général du Conseil Supérieur de la Navigation de Plaisance et des Sports Nautiques
Les coureurs ont le pouvoir de faire changer les choses
Le constat de Giancarlo Pedote est partagé par la plupart des coureurs actuels : les
conditions de vie à bord des Imoca de dernière génération sont effectivement très
difficiles, pour ne pas dire plus. Et le problème des blessures dues aux chocs ou aux
accélérations et décélérations brutales est déjà une réalité : en témoigne l’accident
sérieux de Samantha Davies en 2020, pendant le dernier Vendée Globe.
Au delà du risque proprement dit, la question du plaisir et du fait de se trouver
« déconnecté » de la mer mérite aussi réflexion comme le souligne Giancarlo.
Pour être tout à fait exact, cette rupture n’est pas complètement nouvelle. Il y a près
de trente ans, Christophe Auguin (vainqueur du Vendée Globe 1996/1997) disait lors
de son arrivée : « Surtout, n’y allez pas ! « , répétant à qui voulait l’entendre que le
temps lui avait paru effroyablement long dans sa machine de course invivable et qu’il
ne souhaitait à personne de vivre une telle épreuve.
Encore plus tôt, Titouan Lamazou (premier vainqueur de la course, en 1989/1990)
avouait alors n’avoir pris aucun plaisir dans son parcours, trop préoccupé par la
marche de son bateau pour s’attarder sur la beauté des éléments…
Cette tendance remonte donc loin, mais il est indéniable que le développement des
foils a considérablement accéléré – dans tous les sens du terme – le mouvement. Si
ceux-ci apportent un atout en termes de vitesse (en témoigne la victoire de bateaux
équipés de foils lors des deux dernières éditions du Vendée Globe), ils comportent
aussi de nombreux inconvénients : surcoût financier, fragilité, inconfort accru du fait
de l’extrême brutalité des mouvements, projection continue d’embruns imposant de
fermer presque complètement les cockpits, et enfin augmentation du risque de
collision avec des animaux marins ou des objets flottants.
Faut-il renoncer à ces appendices qui posent tant de problèmes ? Ce serait sans
doute plus sage et la compétition n’y perdrait au fond rien de son intérêt. Pour
mémoire, les premiers bateaux sans foils à couper la ligne d’arrivée en janvier 2021,
ceux de Jean Le Cam et Damien Seguin, n’avaient que seize heures de retard sur le
foiler de tête après 80 jours de course ! Il est vrai que cette édition s’était révélée
peu favorable aux bateaux à foils, les conditions météo compliquées ne favorisant
pas cette fois les grandes envolées…
Mais à l’image de Giancarlo qui déplore cette évolution… tout en choisissant
d’équiper son bateau de grands foils performants (« Sportivement, je souhaite monter
le curseur de la performance » déclarait-il après son arrivée à la huitième place du
Vendée Globe 2020/2021) la position des coureurs reste souvent ambigue sur le
sujet. Rien ne les empêche a priori de s’organiser entre eux pour faire bouger les
choses. La course en Imoca n’est pas une discipline mondialement pratiquée dont
les règles seraient verrouillées par une galaxie ingérable de fédérations éparpillées
sur tous les continents. Elle ne repose que sur quelques dizaines de marins dont la
majorité résident entre le Finistère et le Morbihan.
Certains ont d’ailleurs déjà fait des choix différents comme Jean Le Cam qui assume
le refus des foils sur son bateau neuf, pour des raisons financières mais aussi parce
qu’il tient à garder l’entière maîtrise de son bateau et préfère privilégier la simplicité.
À l’issue de cette édition, organisateurs et coureurs ne pourront en tous cas faire
l’économie d’une vraie réflexion sur ce sujet. Et au passage sur celui de l’équipement
en général, pour éviter la surenchère en termes de complexité mais aussi prévenir
les dérives liées aux possibilités quasi illimitées des systèmes de communication
modernes.
Par Olivier Le Carrer