Alerte sur le trafic maritime des conteneurs, alertait le quotidien La Croix le 25 mars dernier, « Le transport maritime au bord de la crise de nerfs », titrait le 29 avril le magazine week-end du quotidien Les Echos.
L’échouage, le 23 mars 2021, en travers du canal de Suez, de l’Ever Given, un porte-conteneurs de 220 000 tonnes, bloquant tout le trafic international pendant sept jours, avait jeté, c’est vrai, une lumière crue sur la situation ahurissante du commerce maritime mondial après une année de crise sanitaire.
Sur ses vulnérabilités mais aussi sur la place centrale du conteneur dans l’économie mondiale : le conteneur, dont Pascal Lamy, l’ancien directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce disait qu’il était avec Internet l’un des deux moteurs de la mondialisation.
L’occasion de relire avec Laure Bonnaud, chercheuse à l’INRAE, le livre culte de Marc Levinson, paru en 2005 « The Box, comment le conteneur a changé le monde »
Avec son autorisation, nous reproduisons ci-dessous en deux volets l’article qu’elle a publié récemment sur le site de Transhumances
Voyage en soute. A propos de « The Box », de Marc Levinson
Par Laure Bonnaud
Le livre de Marc Levinson contient plusieurs anecdotes frappantes. Une histoire de Barbie, tout d’abord, désormais assez connue : depuis le milieu des années 1990, Barbie est fabriquée en Chine pour ce qui est de la silhouette, grâce à des moules américains et des machines japonaises et européennes ; ses cheveux sont japonais ; le plastique de sa silhouette, taïwanais ; les pigments, américains, et les vêtements en coton, chinois. Barbie illustre parfaitement la nouvelle donne des chaines d’approvisionnement où la production intégrée n’est plus la norme. Ces modes de production sont le résultat de mutations de grande ampleur, notamment dans le secteur des transports, en particulier le transport maritime. Marc Levinson raconte également une anecdote sur la fabrication des automobiles : en 2001, après les attentats du 11 septembre, le durcissement des contrôles douaniers a entrainé la fermeture des usines automobiles du Michigan, pendant trois jours. Coupées de ses importations, la construction automobile, fortement dépendante du « juste-à-temps », ne pouvait tout simplement plus fonctionner. De nos jours, les entreprises fabriquent chaque composant et chaque produit fini sur le site le moins cher, tout en prenant en compte les salaires, les taxes, les subventions, le coût de l’énergie et les tarifs douaniers, sans oublier les temps de transit et la sécurité. Partout, les stocks sont établis à un niveau minimal. En 1998 déjà, moins d’un tiers des conteneurs importés en Californie du Sud renfermaient des biens de consommation : les autres étaient plein de « biens intermédiaires », partiellement transformés sur un site, terminés sur un autre.
Pour Marc Levinson, ces nouvelles chaines d’approvisionnement, qui dépendent de l’intensification des transports dans le monde entier, se sont mises en place grâce la conteneurisation. D’où ce livre, qui retrace l’histoire des conteneurs aux États-Unis, depuis les années 1950 jusqu’au début des années 2000.
La « révolution » du conteneur
En avril 1956 a lieu sur le port de Newark le premier chargement de conteneurs sur un navire. Pour Marc Levinson, cette date marque le début de ce qu’il appelle une révolution : le transport maritime des marchandises dans des caisses métalliques. Avant l’avènement du conteneur, le transport des marchandises coûtait cher et expédier des produits à l’autre bout du monde était difficilement rentable. Le conteneur, en réduisant les frais d’expédition par bateau, a entrainé un fort développement du volume du commerce international des produits manufacturés et ce, dès la première décennie de son existence.
Cette révolution a entrainé des conséquences sur des plans divers :
- Les ports qui n’étaient pas adaptés au chargement et au déchargement des conteneurs ont disparu. Parmi eux, le plus emblématique est New York, mais on peut aussi penser à Liverpool. D’autres installations portuaires ont en revanche connu un développement rapide, comme Seattle aux États-Unis, Felixtowe en Grande-Bretagne ou Tanjung Pelepas en Malaisie.
- Des compagnies maritimes historiques ont fait faillite ou ont été absorbées. Les compagnies qui leur ont succédé ont construit des bâtiments gigantesque conçus pour accueillir des conteneurs. Elles emploient peu de personnel : un navire de 3000 conteneurs de 12 mètres peut être manœuvré par un équipage d’une vingtaine de personnes seulement. Tous les mouvements complexes, ainsi que la maintenance, sont réglés par ordinateur avant que le navire entre dans le port.
- De nombreux emplois ont disparu des quais. La fin du fret pièce par pièce a entrainé une diminution des mouvements de marchandises, donc une réduction d’activité pour les débardeurs, de moindre dépenses de main d’œuvre pour le chargement et déchargement des bateaux, ainsi qu’une baisse du temps où les navires restent à quai : certaines zones du navire sont chargées alors que le déchargement n’est pas terminé à l’autre bout. Des milliers de conteneurs sont ainsi manipulés en moins de 24 h avant que le navire ne reprenne la mer.
- La géographie des implantations industrielle a été profondément modifiée. Le transport maritime peu coûteux a permis que les entreprises s’éloignent des zones de production et de consommation des grandes villes, au foncier inabordable, pour des petites villes aux terrains et aux salaires bon marchés. Il a marqué également la fin des grands complexes industriels où l’on fabrique les produits de A à Z au profit d’entreprises plus petites et spécialisées qui échangent entre elles par bateau des pièces ou des produits inachevés dans des chaines d’approvisionnement qui s’allongent… Ainsi le développement de la production industrielle « juste à temps » est indissociable de la généralisation des conteneurs, car elle permet une grande précision sur les délais et une diminution des stocks chez les fabricants. Il s’agit dans cette révolution de gagner du temps autant que de l’argent.
Cette révolution a enfin rendu plus difficiles les contrôles douaniers et de sécurité. Les conteneurs transportent aussi bien des objets non déclarés, des stupéfiants, des animaux, des hommes et des femmes migrants, du matériel terroriste que des cargaisons parfaitement légales. La vérification s’avère impossible puisqu’ouvrir les battants ne permet en général de voir que des murs de cartons. »
A suivre…