Suite de notre chronique « 1940, année de ruptures, de tragédies et de résistances pour la Marine française » avec l’aide du livre de Luc-André Lenoir « Résister sur les mers »
« Le 24 juin, les conditions d’armistice sont jugées acceptables (par le gouvernement Pétain). L’article 8 du texte proclame la neutralité de la flotte française. Il précise que, bien que démobilisée et désarmée, elle sera sous le contrôle des forces d’occupation allemandes.
Darlan insiste sur la discipline, explique que le peuple et l’armée ne sont plus en état de combattre, et qu’il faut rester unis pour redresser le pays…
Dans ce contexte, les bâtiments de la Marine française décidant spontanément de désobéir sont extrêmement rares.
Le premier est le sous-marin Narval.
Son commandant, François Drogou, n’a pas entendu l’appel du Général de Gaulle, éphémère sous-secrétaire d’Etat à la guerre, réfugié à Londres depuis qu’il a refusé les négociations d’armistice.Il reçoit en revanche les télégrammes de sa hiérarchie l’informant de l’arrêt du combat, alors qu’il se trouve à Sousse en Tunisie avec la 11ème division de sous-marins. Il reçoit également les messages anti-anglais de la part de l’état-major de Darlan, le 23, et comprend, par l’utilisation du suffixe « Xavier 377, que les codes secrets de la Marine ont été livrés aux Allemands.
À terre,Marcel Peyrouton, le résident général de France en Tunisie, prend également le parti de l’armistice. Aucune hésitation particulière pour Drogou : en revenant de la résidence, il expose à son équipage son souhait de refuser les ordres, et tout aussi simplement,reçoit l’assentiment des marins. Dès 23h30, le Narval appareille, ignorant les instructions strictes du contre-amiral Ven,le commandant du groupe. Le bâtiment cesse sa veille radio, mais adesse deux denier messages dans la nuit qui montre la fois la détermination de Drogou et son sens de la provocation :
Trahison sur toute la ligne. Stop. Je fais route sur un port anglais. Stop. A tous bâtiments de guerre; Stop. Continuez la lutte avec nos amis anglais. Stop. Ralliez si besoin une base britannique.Stop. Signé : Drogou,Commandant en chef des forces maritimes françaises.
Le bâtiment arrive le 26 juin devant le port de La Vallette, à Malte, non sans un moment d’inquiétude : n’attendant aucun ralliement, incapable de discerner les intentions, le destroyer britannique Diamond manque de tirer sur le sous-marin de 900 tonnes. Cependant, dès son amarrage, l’accueil est cordial, le lien est fait par le capitaine de corvette Gayral, officier français de liaison avec la Royal Navy. Ce dernier l’informe de l’initiative de de Gaulle à Londres.
Toutefois, l’arrivée en territoire britannique a provoqué un flottement au sein du Narval, imperceptible deux jours auparavant. Drogou réfléchit à nouveau avec son équipage, revient sur les raisons du départ, les encourage à continuer le combat, même si lui-même ne sait pas à quoi s’en tenir. Drogou est certain que la force rebelle du général français installé à Londres va attirer de nombreuses unités, et de toute façon, il n’y a rien d’autre à faire.
Les officiers, un officier marinier et 26 quartiers-maîtres et marins le suivent, 36 membres d’équipage demandent le rapatriement. Drogou répercute la nouvelle au consul et à l’amiral Sud, ce qui tend à prouver sa loyauté intacte à la Marine.
Pour quelques heures seulement : le lendemain, un télégramme informe le Général de Gaulle qu’il dispose du Narval. Un premier bâtiment de guerre français choisit la France libre.
De même, un autre sous-marin français décide de continuer le combat.
Le Rubis, commandé par le lieutenant de vaisseau Georges Cabanier mouille depuis mai ses mines dans les fjords norvégiens.Il est sous les ordres de l’amiral Horton et de la Royal Navy, une première pour la Marine française.
Malgré le rappel de la flotte française du mois de mai, l’état-major a consenti ce que le sous-marin intègre la 9ème flottille en Grande-Bretagne, et aide les britanniques à perturber les opérations de la Kriegsmarine en Norvège.
Au moment de l’armistice, il en est à sa quatrième mission, et subjugue les amiraux britanniques, qui lui ont adressé plusieurs messages exprimant leur admiration « pour la brillante façon dont vous avez toujours accompli les missions qui vous étaient confiées. »
Le Rubis ne reçoit pas les messages l’informant de la cessation des combats en France, et à son retour dans sa nouvelle base de Dundee en Écosse, découvre que ses missions sont peut-être achevées et qu’il pourrait avoir à quitter le commandement de la Royal Navy. Spontanément, Cabanier et son équipage décident de rester disponibles pour le combat, même s’ils ne savent encore rien de l’initiative du Général de Gaulle »