« Ultramarins » de Mariette Navarro (Quidam Editeur)
« Ils n’auront pas dessiné un filet bien large au milieu de l’océan.
Ils n’auront pas nagé plus de trente-cinq minutes.
Ils n’auront pas été autre chose que des créatures terrestres qui paniquent dans le bleu.
Ils auront vu leur vie résumée dans une vague, espéré le rivage et le réveil. »
« Ils savent que quelque chose leur a échappé. Pendant presque une heure ils ont perdu le fil de tout. Un peu de houle s’est jouée d’eux. Entre l’océan et eux quelque chose s’est produit dont ils ne parleront jamais, ou bien il faudra beaucoup boire, ou bien il faudra beaucoup de nuits blanches. »
« Ils ont quitté les sons de la terre et de la surface, ils découvrent la musique de leur propre sang, tambour jusqu’à la liesse, percussion jusqu’à la transe. Son noir des apnées, symphonie des apesanteurs ».
« En une seconde ils sont sous l’eau, les cheveux méduses, enfin livrés à autre choses qu’aux embruns, ondulent, libèrent de leur pression les crânes, ne pèsent plus rien.
Ultramarins (Mariette Navarro)
Le commentaire de Dominique Cara-Brighigni au nom du jury :
Votre livre commence avec un citation de Platon :
« Il y a 3 sortes d’hommes, les vivants, les morts et les marins ».
Ce soir les marins nous accompagnent.
Un navire chargé de marchandises quitte Saint-Nazaire pour les Antilles. Il est commandé par une femme, à la tête d’un équipage de vingt hommes. Théoriquement du moins.
Un marin lance l’idée d’une baignade en plein océan; à la surprise générale, la commandante accepte, elle d’ordinaire si soucieuse des protocoles.
Les marins profitent de ce moment suspendu, la commandante, restée seule à bord, se demande, elle si rigoureuse et professionnelle pourquoi elle a lâché ce oui :Une parenthèse de liberté dans un monde de règles et d’habitudes ?
La parenthèse récréative refermée, les hommes remontent à bord : ils sont désormais vingt et un. Les anomalies s’enchaînent alors, le bateau ralentit inexplicablement son allure et une brume impénétrable envahit la zone……
La commande est prise par le vertige, elle qui doit constamment faire ses preuves dans un univers masculin…Elle qui les dirige d’une main de fer.
Elle sait qu’elle appartient à la mer, qu’après chaque escale, il lui tarde de repartir, face à l’immensité. Jamais il n’a été question de vie terrestre.
« Elle, elle appartient à la mer. Bien avant d’avoir navigué, dans les années terrestres de maison chaude et de fratrie, de giron maternel et de chemin vers l’école, dans les années, même, de ville éloignée de tout port, d’études et de livres lus, elle ne marchait pas sur le même sol que les autres ».
Ultramarins raconte aussi cette traversée intérieure.
C’est un livre dans lequel on se laisse complètement embarquer, c’est aussi un très beau portrait de femme, au milieu d’un monde de marins unis dans la camaraderie, c’est un hommage au père lui aussi commandant de bord.
C’est un premier roman empreint de poésie, un roman de la mer et des hommes, de la mer et d’une femme, qui entraîne son lecteur dans une dérive maritime avec l’océan et le brouillard qui nous enveloppe.
Un roman étonnant, fascinant, envoûtant, magnifique.
Chère Mariette pour vous ce poème du grand poète italien Giuseppe Ungaretti :
M’illummo d’immenso
Dernière chose, le livre a eu plusieurs prix dont le dernier en date le Prix Leopold Senghor du premier roman 2022, on est à presque 25000 exemplaires vendus, après sept réimpressions, et le livre est un objet superbe.